Eduardo González Calleja, La dictadura de Primo de Rivera. La modernización autoritaria 1923-1930
Manuelle Peloille
Referencia(s):
Eduardo González Calleja, La dictadura de Primo de Rivera. La modernización autoritaria, Madrid, Alianza, 2006, 463 p.
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1Le
livre n’est pas de cette année mais son caractère synthétique justifie
un compte rendu. Si le lecteur espagnol avisé trouvera des évidences, le
lecteur français, lui, ignore la dictature militaire du général Primo
de Rivera, qu’il range trop vite dans la catégorie « autoritarisme » ou
« fascisme », alors qu’elle est avant tout une expression du
prétorianisme, de la prise en charge de l’économie et de la politique
nationale par une partie de l’armée. Du 13 septembre 1923 à décembre
1925, l’Espagne est sous la coupe d’un Directoire de généraux, remplacés
ensuite par un Directoire civil jusqu’à la démission du général en
janvier 1930, et dont une des figures les plus éminentes est Eduardo
Aunós, futur ministre sous Franco, qui cherche à adapter le corporatisme
italien à la tradition catholique espagnole.
2Même
si les choses sont en train de changer, les programmes universitaires
et scolaires, les sujets de thèses déposés laissent accroire que
l’Espagne, au xxe siècle, n’a connu que les conséquences désastreuses de 1898, la iie
République, la Guerre Civile, le franquisme et la Transition
démocratique – actuellement au programme du CAPES et de l’agrégation
externes –, et l’histoire « immédiate » ou « présente ». Pourtant, les
historiens anglais et espagnols ont bien établi qu’entre 1898 et 1931,
la boule de neige du capital espagnol commence à grossir du fait du
rapatriement de capitaux de Cuba et de la situation particulière de la
seconde Guerre mondiale; le pays connaît les débuts de sa transition
démographique dans les années 1910 ; pour la première fois, Madrid,
centre politique, devient un pôle économique ; c’est aussi à cette
époque que, grâce à la Junta para Ampliación de Estudios créée
en 1907, on se préoccupe de former des cerveaux qui ne fuiront pas et
retourneront prendre les commandes du pays dans les années vingt et
trente. Comment se fait-il donc que, dans l’hispanisme français, il y
ait eu si peu d’intérêt pour la seconde moitié de la Restauration et la
Dictature de Primo de Rivera en tant que période historique ? Nous
exagérons sans doute, car on ne saurait oublier que Carlos Serrano et
Marie-Claude Lécuyer se sont intéressés aux guerres du Maroc, que Paul
Aubert et Jean-Michel Desvois ont étudié les intellectuels et la
presse ; mais aucun français à notre connaissance n’a cherché à examiner
la Dictature de Primo de Rivera dans sa totalité, comme si la répulsion
idéologique envers ce type de régime lui retirait toute importance dans
l’histoire de l’Espagne. La dictature du général Primo de Rivera se
retrouve souvent affublée des étiquette de « prolégomène au
franquisme », « pâle copie du fascisme italien » ou « écho de l’esprit
de Napoléon III ». Dans le fichier de la Bibliothèque Nationale, on
trouve pour la Dictature de Primo de Rivera deux uniques références :
une thèse de doctorat de 19331 et la traduction française du livre du très conservateur José Pemartín, Le Général Primo de Rivera et la dictature en Espagne. On ne dispose même pas pas de version française de l’un des premiers livres écrits sur la période, Bosquejo histórico de la Dictadura,
de Gabriel Maura, publié en 1930. Les chercheurs français qui, comme
Paul Aubert ou Pierre Malherbe, ont publié sur ces années-là, l’ont fait
à l’intention du public espagnol.
3Le
livre de l’historien Eduardo González Calleja, auteur de travaux
fournis sur la violence politique en Espagne à la fin de la
Restauration, au moment de la crise sociale majeure de 1917-19222,
est depuis plus de quatre ans dans les librairies espagnoles. L’intérêt
de ce livre n’est pas la nouveauté, mais sa solidité. Fruit de plus de
vingt années de lectures sur la période, il se fonde sur des sources
primaires fiables pour appuyer son propos, ce qui en fait un nouveau
point de départ pour l’étudiant, l’apprenti chercheur ou le chercheur
confirmé.
4Pour
les premiers qui n’auraient pas renoncé à lire des livres, il peut
servir de manuel de référence, tant comme point de départ
bibliographique que comme base sur tel ou tel aspect de la Dictature de
Primo de Rivera, grâce à l’organisation thématique. Pour le chercheur,
le livre est une synthèse critique de travaux antérieurs, auxquels on
reviendra toujours3. Voilà comment ce livre se place dans certains débats autour de ce régime.
La dictature de Primo de Rivera et le fascisme
5Le
mot « fascisme » recouvre désormais des acceptions si variées, parfois
aux antipodes des pratiques fascistes que nous racontent les derniers
survivants, qu’il est difficile de prendre position sur la question.
6On
cite souvent à l’appui de ce rapprochement le voyage de Primo de Rivera
en Italie à la fin de l’année 1922 : mais le général ne fait qu’honorer
un engagement pris au printemps de la même année par le roi Alphonse
XIII, bien avant son coup d’État. Et même si on prête à Mussolini ces
mots à propos du Marquis d’Estella « voici mon Mussolini », l’admiration
n’est qu’une façade, car très tôt nombreux sont les motifs de friction
entre les deux puissances secondaires de la Mediterranée.
7En
1917, l’Espagne connaît aussi une agitation révolutionnaire. La
répression s’organise, aux mains de milices civiles (« Union civique » à
Madrid et, en Catalogne, somatén, castillanisation du catalan
« som atent », « nous veillons » [sur la propriété privée]) et du
« Syndicat libre » qui persécute les anarchistes à coup de pistolet. Un
appareil législatif (Loi dite « des juridictions » de 1906 qui faisait
passer des délits d’opinion et de presse pour atteinte au drapeau et au
Roi sous juridiction militaire et l’application de la « Ley de fugas »
complète la répression de fait. Le but poursuivi est atteint au bout de
cinq ans, sans que ne s’impose une solution fasciste. Les élites
espagnoles avaient trouvé leur propre réponse, laborieuse, aux
revendications sociales.
8Le
fascisme ne l’a jamais emporté dans l’Espagne des années vingt, parce
que le corps militaire et le corps ecclésiastique refusaient une société
encadrée par un parti unique et des milices civiles qui leur faisaient
perdre du pouvoir. Voilà la thèse défendue dans le chapitre 3 « La
institucionalización de la dictadura » par Eduardo González Calleja,
thèse que confirme la fréquentation de sources primaires comme La Nación ou El noticiero del lunes,
journaux officiels de la Dictature. Par ailleurs, le parti unique Unión
Patriótica (U.P.), créé en 1925, n’a jamais rempli le rôle
d’encadrement qu’a joué en Italie le Parti fasciste. Il doit plus à
l’héritage régénérationniste et au catholicisme social qu’au fascisme.
9Le
projet fasciste d’assemblée nationale corporatiste, dans le cadre d’une
organisation corporatiste nationale a certes tenté le Ministre du
Travail du Directoire civil de la Dictature, nommé en décembre 1925,
Eduardo Aunós, qui a rencontré plusieurs fois le Ministre italien des
Corporations Giuseppe Bottai. Mais jamais elle n’a été appliquée.
González Calleja explique bien la différence :
Bottai était un radical qui présentait le corporatisme comme une façon de mobiliser une société constituée organiquement contre la menace révolutionnaire, sous la tutelle d’un État omniprésent. Aunós, plus proche de la tradition du catholicisme social d’intégration des classes, n’exprimait aucune volonté de transformer le syndicat en une formule d’encadrement populaire ; tout au plus sa fonction devait-elle se limiter à intervenir sur les conditions de travail et à éviter les grèves4.
10Voilà une précision qui nous permet de sortir des étiquettes que chacun peut avoir au départ à propos de cette époque.
La dictature de Primo de Rivera, précurseur du franquisme ?
11Malgré
ce caractère édulcoré par rapport au modèle fasciste, l’opposition
catholique à la Dictature lance en novembre 1928 une campagne pour
dénoncer l’organisation corporatiste nationale, jugée trop « étatique »
et « centraliste 5».
On peut considérer avec raison que le régime de Primo de Rivera annonce
le franquisme dans la mesure où, comme lui, il prétend museler
l’expression des aspirations populaires. Mais, encore une fois, ce sont
l’armée et l’Église, et non un parti laïque qui vont se charger
d’embrigader les Espagnols. L’Espagne ne peut digérer le modèle fasciste
car elle dispose de son propre modèle cléricalo-prétorien. En ce sens,
il est permis de voir en les tentatives de prise en charge de la
jeunesse dans des campements militaires à partir de 1927 une annonce de
ce que que le régime franquiste fera à partir de 1940, dans le cadre des
structures phalangistes.
12Ce
qui rapproche peut-être le plus la Dictature de Primo de Rivera du
fascisme et annonce le franquisme, c’est la volonté de dissoudre et de
briser le principe de représentation politique moderne par partis
regroupant des citoyens au profit d’une représentation par
municipalités, familles ou corporations, regroupant des « producteurs »
– terme employé par les fascistes afin de flatter le peuple en se parant
des atours socialistes :
Dans la mesure où [les classes ascendantes] considéraient que leurs intérêts économiques et sociaux n’étaient pas suffisamment pris en compte et défendus par le système politique libéral, elles ont cherché une représentation directe qui ne passerait par aucune sorte de médiation politique, via le développement du corporatisme, compris par Aunós comme organisation du peuple en entités autarciques où les individus-producteurs (et non les citoyens) seraient obligés à remplir la fonction pour laquelle ils sont capables au profit de la collectivité6.
13La
Phalange adopte ce principe dans ses bases édictées en 1933,
puisqu’elle soutient que la représentation par partis est artificielle
et que la famille, la corporation et la commune sont plus proche des
Espagnols, et doivent par là être la base de la représentation. En 1942,
la Loi instituant des Cortès non démocratiques, ainsi que la Charte des Espagnols de 1945, reprennent ce principe qui commença à se faire jour dans les années vingt.
14Le
franquisme s’inscrit aussi dans le prolongement de la Dictature
lorsqu’en même temps qu’il promeut un centralisme exclusif de
l’expression politique des nationalismes basque, catalan ou galicien, il
valorise le folklore des provinces. Primo de Rivera lui aussi développe
cette politique en apparence contradictoire, comme on peut le voir dans
El Pueblo español, reconstitution des trésors de toutes les contrées d’Espagne.
15Cet
ouvrage, en somme, présente le double avantage de nous aider à mieux
définir la Dictature de Primo de Rivera en tant que telle, à la situer
plus précisément dans l’enchaînement historique, et de nous servir de
base pour la quasi-totalité des thèmes qui y sont systématiquement
abordés : culture, politique éducative, politique sociale, système de
représentation, etc. Une chronologie finale permet de se repérer.
L’importance de ces sept années de régime militaire est ainsi résumée
par l’auteur :
À court, moyen et long terme, l’expérience dictatoriale a pesé de manière décisive autant dans la diffusion d’une démarche publique en faveur de la démocratie que dans la redéfinition d’une voie autoritaire en réponse à la première 7.
16Si ce livre peut aider à un rééquilibrage des objets d’étude en France, ce ne serait pas là le moindre de ses mérites.
Notas
1 René Bec, La Dictature espagnole de Primo de Rivera, Thèse pour l’obtention du grade de docteur en droit, Montpellier, Imprimerie Mary-Lavit, 1933.
2 Eduardo González Calleja, Orden público, subversión y violencia política en la España de la Restauración, I, La razón de la fuerza (1875-1917) et II, El máuser y el sufragio (1917-1931), Madrid, CSIC, 1995 et 1999. Il a publié depuis de nombreux ouvrages et articles.
3 Les livres pionniers furent : Ben-Ami, Shlomo, La dictadura de Primo de Rivera 1923-1930, Barcelone, Planeta, 1983; Casassas Imbert, Jordi, La Dictadura de Primo de Rivera (1923-1930). Textos, Barcelone, Anthropos, 1983; Gómez Navarro, José Luis, El régimen de Primo de Rivera: reyes, dictaduras y dictadores, Madrid, Cátedra, 1991; González Calbet, María Teresa, La dictadura de Primo de Rivera. El Directorio Militar, Madrid, El Arquero, 1987; Palomares Lerma, Gustavo, Mussolini y Primo de Rivera : política exterior de dos dictadores, Madrid, Eudema, 1989; Quiroga Fernández de Soto, Álvaro, Los orígenes del nacionalcatolicismo. Julián Pemartín y la Dictadura de Primo de Rivera, Grenade, Comares, 2006. Un ouvrage met à notre disposition des sources : Álvarez Rey, Leandro, Bajo el fuero militar. La Dictadura de Primo de Rivera en sus documentos (1923-1930), Séville, Université, 2006. Dernièrement, on s’est intéressé à la comparaison entre l’Espagne et l’Italie : Peloille, Manuelle, Fascismo en ciernes. Textos recuperados, Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, 2006 et Tamames, Ramón, Ni Mussolini ni Franco: la dictadura de Primo de Rivera y su tiempo, Barcelone, Planeta, 2008.
4 Eduardo González Calleja, La dictadura de Primo de Rivera, Madrid, Alianza, 2006, p. 155. [Traduit par l’auteur du compte rendu]
5 Idem, p. 162. [Traduit par l’auteur du compte rendu]
6 Idem, p. 153. [Traduit par l’auteur du compte rendu]
7 Idem, p. 382. [Traduit par l’auteur du compte rendu]
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Referencia electrónica
Manuelle Peloille, « Eduardo González Calleja, La dictadura de Primo de Rivera. La modernización autoritaria 1923-1930 », Cahiers de civilisation espagnole contemporaine [En línea], 7 | 2010, Publicado el 18 febrero 2011, consultado el 19 diciembre 2017. URL : http://journals.openedition.org/ccec/3570Inicio de página
Autor
Manuelle Peloille
Maître de conférences, civilisation espagnole contemporaine EA 369, Université Paris-Ouest Nanterre La Défense
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